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J’ai perdu un ami dans ces vidéoclubs dont je suis resté nostalgique

La fin des années 90, le début des années 2000 jusqu’à il y a une décennie, on a assisté dans les villes tchadiennes aux créations et à la prolifération des vidéos et cinés clubs. Véritables révolutions culturelles, ils ont contribué à la démocratisation des éruditions artistiques d’autres contrées et ce, malgré l’exposition d’enfants aux programmes moins adaptés pour leur âge et les politiques commerciales peu glorieuses liées à la piraterie qui ont (néanmoins) participé à leurs vulgarisations. 

En dépit des pratiques déloyales encadrant ce business, les vidéoclubs ont marqué plus d’une génération. Je vous emmène aujourd’hui traîner dans mes réminiscences afin de raviver la flamme de ces endroits mythiques qui m’ont fait découvrir Bollywood grâce aux célèbres actrices et acteurs (Salman Khan, Kareena Kapoor, Govinda, Priyanka Chopra, Hrithik Roshan…), Hollywood avec Johnny Depp, Julia Roberts, Morgan Freeman, Léonardo Dicaprio, Denzel Washington… et ces acteurs Chinois hors normes à l’instar de Jet Lee, Michelle Yeoh, Jackie Chan, Jason Wu, Bruce Lee…

Au-delà de la promesse d’une distraction et d’une découverte, les cinés et vidéoclubs étaient de véritables ‘’places de souvenirs’’ seul, entre frères ou amis.

Affiche d’un ciné club de mon quartier. Crédit Photo : Say Baa

Mais j’y ai perdu un ami il y a plus d’une décennie…

Je garde de meilleurs souvenirs de cette amitié et de l’injustice de la vie quant à sa façon de distribuer les cartes. Il avait toujours rêvé d’aller à l’école, comme je le faisais. Mais culturellement, c’était très difficile. À l’époque du primaire, je jouais les profs avec lui et quelques années plus tard, il s’était inscrit à un cours d’alphabétisation. Il aura tenu trois ans à peine. Mais au-delà de tout, lui, c’était mon ami musulman qui venait à la maison chaque jour, surtout le soir. C’était cet ami musulman qui célébrait Noël avec moi sans complexe et qui m’invitait en premier à toutes ces fêtes religieuses. C’était un forgeron qui m’aura appris à forger des petits couteaux… Pour nos deux familles, c’était surprenant de voir ces deux enfants que rien ne lie, à part le quartier, d’être autant proches. 

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Lui et moi avions nos habitudes, surtout les weekends. J’allais dans l’atelier de forge de ses parents pendant les après-midis et le soir, on allait regarder des films dans ce vidéoclub qui était à cinquante mètres à peine de chez moi. Moi, qui allais aux cours (primaire et collège) pendant ces années d’amitié, je ne pouvais aller au vidéoclub que les weekends. Parfois, j’étais obligé de choisir entre le samedi ou le dimanche, mais pas les deux à la fois. Mon ami, par contre, y allait chaque jour et regardait au moins deux programmations. Il en était accro !

Des élèves dans une salle de classe. Crédit Photo : Amisom/Iwaria

Je ne me doutais de rien, je n’avais pas remarqué qu’il changeait. De toutes les façons, c’était mon ami et rien d’autre n’avait d’importance. À mes treize ans, pendant les vacances des classes de 5e, j’étais venu à N’Djaména chez mon oncle maternel. À mon retour à Kélo un soir de septembre, on me demandait si je savais que mon ami était en prison. Je l’ignorais. « Qu’est-ce qui s’est passé ? », demandai-je l’air apeuré. C’est alors qu’on m’a dit : ‘’Il a tué quelqu’un à plusieurs coups de couteau devant le vidéoclub. Apparemment il était sous l’emprise des stupéfiants, des tramadols sans doute.’’

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J’étais là, bouche bée, ne sachant quoi dire. J’ignorais qu’il se droguait. Il avait déjà fumé la cigarette une fois en ma présence mais je l’avais convaincu d’arrêter, en lui disant qu’il était trop jeune pour s’adonner à la fumette et que les conséquences sur sa santé pouvaient être irréversibles. Pour les tramadols, je ne le savais pas, mais beaucoup d’enfants et de jeunes qui venaient au vidéoclub en prenaient et souvent à très fortes dose. Rien de surprenant, c’était normal cette façon de faire et nous y avons tous été exposés très tôt. C’était une sorte de zone de non droit, tout pouvait s’y passer et j’avais vu des plus jeunes que nous, c’est-à-dire les moins de 15 ans, moins de 13 ans, se perdre peu à peu là-bas et pour moi, c’est là que j’ai perdu mon meilleur ami.

L’établissement pénitentiaire de la ville était situé en plein centre-ville. Je passais devant cette prison au moins quatre fois par jour pour aller au collège (2 fois par jour). Un jour, j’ai décidé d’aller lui rendre visite, environ un mois après mon retour de N’Djaména et les matons m’ont dit qu’un enfant ne pouvait pas venir visiter un autre enfant détenu. Alors je suis reparti chez moi. Un autre jour, par le plus grand des hasards, je rentrais des cours vers midi et les détenus étaient assignés à un travail de défrichage et de nettoyage de la devanture de l’établissement ainsi que de la place publique. Il était parmi eux, habillé d’une tenue rayée blanche et noire à l’horizontal. Comme c’était en pleine route, je me suis arrêté pour le saluer et prendre de ses nouvelles. Il m’a dit qu’il risquait de passer toute son enfance derrière les barreaux. Et moi, je ne savais quoi lui répondre. C’était la dernière fois que je le voyais. Des années plus tard, j’ai appris qu’il avait été libéré et qu’il était parti s’installer dans une autre ville…

Crédit Photo : Tumisu/Pixabay

Comment vous dire que l’ambiance typique des vidéoclubs était addictive ?

J’ai fait un tour dans un ancien ciné club de mon quartier (vous l’aurez compris, ici à N’Djaména, les vidéoclubs ont déjà disparus) il y a quelques jours. Mais quelle ambiance morose !

À mon époque ! Bah quoi ? J’ai des os qui se font vieux ! Enfin, bref ! Face à un minuscule écran de 22 pouces branché à quelques gros baffles qui vous explosent littéralement les tympans, devant une vertigineuse action de Jimmy (l’indien) dans des saltos avant et arrière bravant les lois de la pesanteur, tous les spectateurs du vidéoclub faisaient un standing ovation à l’acteur ! Et tenez-vous bien, cela pouvait durer de belles petites minutes comme des gens qui s’extasieraient devant la finesse d’un film au festival de Cannes ! Ou comme Hirtik dans une disproportionnée action où il bat une dizaine d’adversaires dans une sorte de forêt en défiant la gravité, les suspendant dans l’espace. Leurs corps retombant au sol des secondes plus tard après que, lui, ait atterri et dresser son fameux manteau noir ! Ne cherchez pas à comprendre la faisabilité d’une telle action et applaudissez l’acteur !!! 

Avez-vous déjà vu Jet-Li en action tué à lui seul 673 personnes en un temps record comme s’il avait un moteur de 6 000 chevaux dans le torse ? Ou un homme mi-homme, mi machine qu’on appelle Terminator faire de gros dégâts sur son passage ? C’était ce qui nous attirait : la montée d’adrénaline ! Le mode de vie des bad boys, les bandes organisées qui terrorisent tout le monde à coup de beuveries et de crimes. Et pour ne rien manquer de ces films phénoménaux, on s’astreignait à une programmation tout aussi monstrueuse.

Programmation d’un ciné club. Crédit Photo : Say Baa

Des jours bien remplis par les programmations des vidéoclubs

Les vidéoclubs offrent selon les villes et les clients quatre représentations par jour, généralement dans des tentes fait de bois, de seckos, de bâches imperméables à l’intérieur desquelles, plusieurs rangées de bancs en briques cuites ou en terre battue. Une première programmation à 10 h, aussi appelée ‘’Ab 10 heures’’ diffuse uniquement des films hindous. La deuxième à 14 h également. Une troisième à 18 h (autrement appelée Matinée) propose un film d’action et la dernière vers 20h 30 (aussi appelée Soirée), pour fermer boutique aux environs de 23 h, s’inscrit dans une ambiance de Bollywood.

Devant les cinés et vidéoclubs se vendent plusieurs choses dont cigarettes et alcools frelatés. Crédit Photo Say Baa

Ce qui n’est pas sans conséquence sur les enfants que nous étions

Pour les jeunes esprits que nous étions, comment ne pas aimer une ambiance comme celle-là où les enfants côtoient des jeunes venus de différents quartiers dans une approche défiant les interdits ? Cigarettes, drogue, bagarres. Des pratiques, qui en temps normal, seraient mal vues en famille, sont normalisées. Apprécier la vie dans un cocon, où il n’y a que la loi des pièces de monnaie versées à l’entrée qui compte, pour ensuite aller faire un tour en Chine, en Inde, aux États Unis, au Japon… Dans une ambiance empuantie de cigarette chauffant à 43 degrés Celsius.

De là sont nés les Djiddos, vous savez, les enfants de la ville capables du pire des fois, reproduisant les actions des films dans la vie réelle. Avec du recul, je comprends mieux les risques auxquels nous nous exposions à cette époque mais pour beaucoup, il est déjà trop tard. Certains sont devenus les pires délinquants qui soient, les autres font des allers et retours en prison et les moins chanceux ne sont plus de ce monde. Nous autres sommes là pour témoigner de cette vie qui a faillit nous happer à fleur d’âge…

Crédit Photo : Emerson/Iwaria
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lafenetreetoilee

Commentaires

Mahmoud Sabir
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Souvenir du ciné Paris situé à 200m de chez moi au quartier Amriguebé. Un endroit morose où délinquance et voyoustisme se côtoient. Il faut noter que, dans cet endroit, les fumées de la cigarette vous laisseront croire dans une usine à fabrication de produits chimiques.

lafenetreetoilee
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L'ambiance se ressemble d'un cinéclub à un autre, ils partagent la même philosophie au détriment des enfants qui vont s'y perdre dans tous les sens du terme !