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L’urbanisme à N’Djaména : que deviendra ma ville dans trente ans ?

N’Djamena change. Énormément ! Me laissant nostalgique des ruelles étroites du quartier Paris-Congo, du bruit authentique des garages autos du quartier Cent fils, de la belle musique qui anime les rues du quartier Kabalaye, de la discrétion du quartier Sabangali, de la joyeuseté des enfants de Walia… 

Par-delà tout, une image restera à tout jamais graver dans ma mémoire. A cette époque, je devais avoir neuf ans à peine. C’était un matin dans le quartier Ridina, où j’étais avec maman qui achetait plusieurs bocaux d’encens chez une de ses amies. Il fallait marcher un peu avant de prendre un taxi pour retourner à la maison. C’est là qu’elle me montra un élégant et grand bâtiment construit tout en terre battue ! Elle me dit, c’est une maison en étage construite en poto-poto ! J’y croyais à peine, elle me laissa contempler ce bâtiment pendant quelques secondes avant de me prendre par la main. Nous-nous éloignâmes croisant des vendeurs d’eau avec leurs portes-tout chargés de bidons et des enfants qui faisaient du vélo dans la rue sans se soucier. 

Aujourd’hui encore, je voudrais revoir ce vieux bâtiment mais vous savez, N’Djaména n’est plus ce qu’elle était avant, l’architecture de la ville a changé, il y a un peu trop de briques cuites et de parpaings en ville, le bitume a augmenté également. A ce qu’il parait, la ville se modernise et c’est signe de richesse de construire comme le font les occidentaux. A ce qu’il parait, l’ingéniosité architecturale du beau bâtiment que j’avais eu la chance de voir dans le quartier Ridina il y a plusieurs décennies n’est plus digne de la capitale ! Tant pis peuple sao pour le savoir faire avec l’argile, sa maestria de la boue.

Mais alors, au nom de la modernité, quelle identité architecturale typiquement tchadienne gardons-nous pour la postérité ? Qu’allons-nous montrer aux yeux de l’histoire pendant que l’Égypte et le Soudan exhiberont fièrement leurs pyramides ou lorsque Tombouctou exposera l’élégance de son architecture soudanaise ?

Le tout premier grand immeuble de la capitale tchadienne. Crédit Photo : Djérabé Ndingar

Ma ville hier, ma ville aujourd’hui, ma ville demain

Aujourd’hui, quelques vestiges de N’Djaména semblent survivre au temps dans les quartiers Ridina et Mardjandafak. Mais tout évolue très vite, de sorte à ce qu’il faut avoir connu cette autre ville pour faire le lien avec ces maisons en terre battue qui avaient marqué de belles décennies de la capitale.

La ville devrait évoluer, il fallait l’anticiper mais je me refuse d’acquiescer que ma ville, ma capitale était une bourgade à cause de son architecture. Une bourgade aux yeux de qui finalement ? Du colon ou de la civilisation sao ?

Conséquences des inondations pluviales à N’Djamena. Crédit Photo : Abakar Brahim

Quel plan d’urbanisme pour N’Djaména ?

La ville de N’Djaména ces dernières décennies semble évoluer à l’anarchie, une horde de responsables d’institutions et du service de cadastre octroie et vend des terrains sans prendre en compte l’approche multirisques dans l’aménagement du territoire. Résultats, des maisons construites dans des zones sujettes aux inondations pluviales et fluviales parce qu’il n’existe pas de sensibilisation à la culture du risque auprès du public cible, au repère de crue… 

Encore faut-il assimiler la notion de drainage hydraulique, de digue, d’assainissement intégré au plan d’urbanisme…

Dans ces conditions-là, on est surpris que nos maisons modernes, résistantes parce que construites par des ingénieurs intellectuels ne résistent pas face aux intempéries mais que pendant ce temps, le village Gaoui à une quinzaine de kilomètres de N’Djaména, construit en terre battue, habité par des gens qui n’ont pas fréquenté, soit épargné en attendant d’être corrompu à son tour.

Eux, ont compris qu’il fallait réduire les risques de catastrophe en se basant sur la nature elle-même. Comme par exemple, habiter en hauteur des zones inondables.

A lire : Inondations à N’Djaména, entre impassibilité du gouvernement et désarroi de la population

N’Djaména dans 30 ans

N’Djaména dans 30 ans, serait-ce une ville enfin assainie suivant un bon plan d’urbanisation, ou juste un taudis de 6 millions d’habitants sans eau ni électricité ?

Dans trente ans, vivrons-nous dans des quartiers qui auront chacun un bon hôpital, de bonnes écoles, des parcs, des terrains de sports, des marchés… ou juste un fourre-tout ou les gens se marchent sur les pieds ?

Dans 30 ans, serons-nous fier de montrer à nos enfants une identité architecturale nôtre ou nous contenterons-nous de leur dire que ceci est une villa californienne et l’autre une maison moderne ?

Dans 30 ans, continuerons-nous de patauger dans les eaux d’inondations des quartiers Ambatta et Atrone, ou alors créera-t-on des bassins de rétention d’eau pour faire pousser du potager ou entretenir un jardin public qu’on aura créé à Amtoukouin ?

Dans 30 ans, amènerons-nous nos enfants dans des hôpitaux pour les faire soigner du paludisme ou alors, en visite dans une grande école de médecine, quelque part dans le quartier Habbena, qui aurait trouvé un remède contre le cancer ?

Dans trente ans…

Demain, si l’envie d’aller à New York pour apprécier l’insolence de ses grattes ciels me prenait, j’irai pour me donner le vertige.

Demain, si l’envie de visiter la muraille de Chine se manifestait, j’irai en Chine pour ce faire… En aucun cas, je voudrais voir les Champs Élysées à N’Djaména, les mêmes cabarets de Broadway à Farcha… 

Je rêve d’une ville authentique, avec son empreinte, sa singularité, FIERE !

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Auteur·e

lafenetreetoilee

Commentaires

Bika-yantelbe Ézéchiel
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La prévention coûte moins que les relations!
Mûr de réflexion

Saleh tigué
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Avec un autre régime politique et une bonne volonté de la part de nos architectes on y arrivera à un autre Ndjamena admirable de tout le monde

JEAN-CLAUDE JUGAN
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Bonsoir... Je vous comprends car j'ai connu Fort-Lamy au début des années 60 et NDJ au début des années 90 et j'en garde de très bons souvenirs même si entre 60 et 90 la guerre avait malheureusement laissé des traces... Même s'il est difficile de concilier le progrès et la tradition il doit y avoir des solutions... Bon courage !

Daniel Lucan
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C'est une ville qui a commencé à être véritablement urbanisée à la manière de Paris. Mais il s’est tellement développé qu’il est devenu un urbanisme incontrôlé.
Dommage car c'est une belle ville.