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L’école tchadienne : tueuse de l’espoir ?

Une chose est sûre, je n’ai plus quatre ans ni même six. Le temps passe vite, très vite et la nostalgie revient souvent, pour différentes raisons, des belles et des moins alanguies aussi. Mes années à la maternelle, au primaire, au collège et au lycée ont été jonchées par différentes difficultés liées intrinsèquement au système éducatif tchadien qui à lui seul cumule tous les déboires imaginables. Je pèse mes mots. Les grèves, les années dites élastiques, le manque d’enseignants, le manque d’infrastructures, le manque de politique en faveur de l’enseignement… Sont autant de problèmes dans lesquels grandissent les élèves tchadiens face à un doigt d’honneur et un ‘’je m’en foutisme’’ on ne peut plus insultant de l’État.

Depuis plusieurs années, le même décor, les mêmes écoles délabrées, les mêmes élèves avec un niveau toujours douteux, les mêmes promesses non tenues face aux enseignants qui s’en souviennent. Voilà où nous en sommes arrivés : fouler aux pieds l’éducation nationale avec des grèves devenues légendaires. Mais alors comment peut-on bâtir une forte nation sans pour autant investir dans l’éducation des enfants ?                                                                                    

En cette rentrée des classes dans mon pays, je me remémore fébrile de ce que j’ai vécu et de ce que d’autres enfants continuent de subir plus de 20 ans plus tard, comme si les appels à l’aide, les plaidoiries ne trouvaient échos auprès de personne de censée.

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Dans une école pour enfants nomades à N’Djamena. Crédit Photo : Say Baa

Bienvenue dans mon école ! 

Un torchon de drapeau tricolore gagné par l’usure se dresse au milieu du champ qui nous sert de cour douteusement dressé sur un mât en bois. A l’ouest un bâtiment en dur de trois classes, l’unique bâtiment de mon école avec quelques tables bancs et des briques pour s’asseoir. En face dudit bâtiment, se dresse un arbre à neem sous lequel se trouve un table banc, c’est le bureau de notre directeur ! Au nord et au sud se trouve respectivement les classes de CP1 et CP2, construites de bois servant de poteaux couverts de tiges de céréales laissant nos yeux et notre esprit divaguer vers l’extérieur. En face de nous un petit tableau gris, manqué d’ardoisine soutenu par deux fourches en bois et sous nos fesses, deux rangées de briques en terre battues friables.

Je m’appelle Saïba, j’ai six ans, je suis en CP1, classe nord…

Face à la vingtaine d’élèves que nous étions, un maître communautaire, ancien combattant de l’armée française sans pédagogie aucune nous traitait comme de véritables petits soldats se souciant d’avantage d’organiser des marches au pas hebdomadaire sur une dizaine de kilomètres dans le respect strict de la cadence.

Je n’oublierai jamais ce jour où mes camarades de classe et moi étions forcés à aller récolter le coton dans le champ de notre maître à plusieurs kilomètres de notre école. J’avais six ans…

Va à l’école ! Me disait maman tous les matins. Pas question d’arriver en retard alors je courais pour rattraper les écarts car pour un retard, mon maître s’adonnait à une séance de torture m’éclatant les articulations de la main avec sa longue et impitoyable règle jaune. Comme ce matin, je ne pourrais tenir la craie. Mes doigts de garçonnet de six ans, ne sont pas solides. Ce n’est pas la première fois et je crains de ne jamais m’habituer. Le primaire, ce n’est pas fait pour moi, rien à voir avec la maternelle où j’étais mieux traité.

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Crédit : Moussa Tahir

Je m’appelle Saïba, j’ai sept ans, je suis en CP2, classe sud…   

Ce n’est pas un refuge ici non plus. La classe a changé, le maître est différent et les techniques de tortures sont nouvelles aussi. Ce fut pénible comme punition de sautiller pendant de longues minutes dans la classe pour corriger ses erreurs.  Ici en cas de retard, de non assimilation de leçons ou de toute autre bourde, on se tire sur les lèvres inférieures entre élèves jusqu’aux larmes. Oui, les techniques de torture ont changé et ma lèvre de garçonnet de sept ans n’est pas faite pour ça…

Je m’appelle Saïba, j’ai huit ans, je suis en CE1, classe ouest…

Mon maître était un grand alcoolique, très souvent il dort en classe et entre sieste et leçons, on avait à peine trois heures de cours par jour au lieu de cinq. Pour me corriger, il me faisait courir tout autour du bâtiment jusqu’à une folle tachycardie me laissant au bord de l’hypoglycémie. Je suis à l’école de la peur ici, je ne rêve pas, je fais des cauchemars. Même si cette année nous n’avons fait que trois mois de cours. Je ne mettrai plus jamais pieds dans cette école !

‘’C’est censé être dur mon garçon, si non cela n’en vaudrait même pas la peine !’’ me dit maman.  Elle ne savait pas ce que je subissais à l’école et surtout elle ignorait tout des menaces des enseignants de me faire passer à tabac si je disais quoi que ce soit à mes parents. De toutes les façons, tous mes camarades subissaient le même traitement. Alors voilà, c’est la boule au ventre que j’allais à l’école tous les matins.

Notre maitre étant toujours ivre, on aimait cela au détriment des calculs. En fin d’année, le résultat était là, maman devint mon enseignante et me qualifia d’élève médiocre alors pas question d’aller au cours élémentaire 2 ne sachant pas réciter ma table de multiplication par 2. Papa devint dès lors mon prof de français. Jour et nuit, il m’apprenait la conjugaison et la grammaire. On se débrouillait avec les moyens du bord, l’État nous a oublié alors mes parents m’ont façonné.

Crédit Photo : Say Baa

Mon école était pauvre et dirigée par l’association des parents d’élèves, on avait que des maîtres communautaires, titulaires d’un certificat d’Étude Primaire ou au mieux un BEPC et sans aucune formation pédagogique. Ils se donnaient à fond pour faire de nous des cadres du payx même si en réalité cela n’était pas une évidence. Tous espéraient quand même en l’école Ababa, située quelque part dans un canton pas très reculé mais juste exagérément oubliée, dans un grand pays pétrolier de l’Afrique centrale au milieu du vingt-unième-siècle. Voilà comment c’était mon école primaire !                                                                                                                                 

Le collège m’a repris, et mes lacunes m’ont suivi, je n’ai jamais aimé les maths malgré les efforts de Mr Jacques mais une chose est sûre ce collège privé a rehaussé la pente de ma matière grise. Je découvre les bibliothèques et m’y plais ! Moi, chef de lecture toutes mes années du primaire me rendait enfin compte des promesses que cachait la lecture : la réparation de mon âme en peine ! La lecture venait de me sauver !

Depuis, j’écris pour partager une part de moi à travers des textes de slam… Crédit Photo : Liga Ernest

Je suis ensuite entré au lycée public : 2nde U10 123 élèves, 1ère L2 109 élèves, Terminale A5 107 élèves. Cette année-là, on était 07 à avoir obtenu le baccalauréat, vous ne pouvez pas imaginer les conditions de travail, le calvaire de longues grèves, la peine des enseignants vacataires… Toutefois, ce fut un honneur pour tout le monde de savoir que j’étais le meilleur bachelier de mon centre d’examen et un des meilleurs de mon pays mais aucun de mes camarades du CP1 ou du CP2 n’y est parvenu… alors que ce pays ne se réjouisse pas de mes exploits car voilà plus de vingt années écoulées que mon école est restée la même avec ce vieux bâtiment délabré de trois classes. Mr Théo à la retraite ne pouvait que compter sur lui-même, le gouvernement lui disant qu’il n’était pas plus qu’un maître communautaire, agonisé par une maladie, il expia son dernier souffle enfermé dans sa chambre…

Comment peut-on miser sur l’avenir sans se donner les moyens d’éduquer nos enfants ? Comment peut-on construire ce monde de constants challenges sans des personnes capables d’évoluer avec leur temps ? Comment peut-on songer à une émergence pendant qu’on regrette les CFA dépensé pour l’éducation ?

Crédit Photo : AMISOM/Iwaria

Aujourd’hui, je peux témoigner que l’école m’a donné bien plus que des diplômes, le pouvoir de m’affirmer, l’assurance de lire et de comprendre les enjeux du monde qui m’entoure, les aptitudes à m’auto former et bien plus encore. Grâce aux sacrifices de ces femmes et hommes, mes enseignant.e.s qui ont tout sacrifié au nom d’un idéal, pour un avenir digne des enfants. Avec le recul, j’essaie de comprendre l’angoisse, l’incertitude, la peur de mes parents de n’avoir pas d’autres choix que de se contenter de ça. Il leur a fallu jouer aux échecs… Heureusement pour eux, le hasard a bien fait les choses…

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lafenetreetoilee

Commentaires

Élie Bongo
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L'école, ce mot à lui seul décrit toute une vie.
Merci pour le texte, et surtout toutes ces interrogations a la chute qui, j'ose espérer, feront l'objet d'une profonde réflexion !

One Magola Ephraïm.
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Très très intéressant, l'école modèle une personne pour être un bon citoyen et s'il n'y a pas l'éducation c'est le monde des sauvages. Merci pour le texte et surtout va de l'avant.

lafenetreetoilee
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Merci beaucoup ! Pour cela, nous n'avons qu'un seul choix, faire des choses qui nous grandissent.

Gon-goto Alphet
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Si ailleurs il n'existait pas l'école, nous n'allons pas nous procurer des armes et chares
Si ailleurs l'école n'existe pas nous n'allons pas nous acheter des V8
Si ailleurs l'école n'existe pas nous n'allons pas aller nous soigner ailleurs

Alors svp faisons de notre éducation comme ailleurs

lafenetreetoilee
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On peut changer beaucoup de choses grâce à l'éducation en effet.