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Tchad : le défi de l’inclusion des personnes handicapées

Au Tchad, les personnes vivant avec un handicap sont souvent confrontées à des obstacles complexes. De l’éducation à l’emploi et aux soins de santé, cet article explore les défis auxquels font face ces individus, souvent marginalisés et mal compris. Comment le Tchad peut-il progresser vers une inclusion sociale et économique plus équitable pour tous ?

1999, ma mère, mes petits frères et moi quittons N’Djaména pour nous installer à Bayaka, le nouveau lieu de travail de notre maman, un canton dans la province de la Tandjilé Ouest. Un endroit plein de charme, loin de tout, niché dans une broussaille. J’y ai passé les plus belles années de mon enfance (peut-être de ma vie) ! Le premier dimanche suivant notre arrivée dans ce canton, nous sommes allés à la messe. L’Église était belle, la messe aussi. Mais une chose m’avait particulièrement marquée : ces personnes, ces hommes, ces femmes et ces enfants dépourvus de doigts et d’orteil par dizaine ! J’étais subjugué mais pas effrayé, curieux à l’idée de poser mille questions à maman. Toutefois, je devrais être patient au moins jusqu’à ce que la messe se termine. Pour la première fois, j’apprenais ce que c’était une lèpre. Maman était très pédagogue et moi pas trop envahissant, alors elle m’a tout expliqué, m’a rassuré et m’a encouragé à traiter ces personnes comme je la traiterais.

Ce jour où j’ai découvert le handicap

Sont-ils toujours malades ? Non, plus maintenant, me répondit-elle. Alors pourquoi sont-ils logés dans les dortoirs de l’Église ? C’est parce qu’ils sont rejetés par leurs parents. Il y en a très peu qui ont rejoints leurs parents après leur guérison mais les autres sont là parce qu’ils n’ont nulle part où aller alors l’église leur offre un toit et s’occupe d’eux comme elle peut. C’est donc ça le monde de personnes vivant avec un handicap ? Et c’est comme ça que les adultes traitent les personnes ‘’différentes‘’ ? Ces questions ne m’ont jamais quitté et je ne cesserai jamais de remercier cette femme, ma mère qui m’a appris très tôt que l’humain était très complexe…

Quelques années plus tard, je fais la connaissance de ce grand-père (un oncle de ma mère, je ne saurai vous expliquer avec exactitude le lien familial qui nous lie), aveugle. Quand il séjournait chez nous, on était aux petits soins avec lui, avec toute la maladresse des enfants qui était la nôtre. L’aider à s’orienter, à aller aux toilettes, à lui faire toucher le récipient dans lequel il y avait de l’eau à boire… J’étais content de le voir à la maison en me disant, contrairement à beaucoup de lépreux du centre diocésain, lui était encore accepté par les siens. Je me retrouvais à sourire parce que certains adultes avaient bon cœur et ça, ça changeait la donne !

Crédit Photo : AMISOM/Iwaria

Les laissés pour compte…

Revenons à nos moutons. Les personnes vivant avec un handicap au Tchad font face à de nombreux défis, notamment en matière d’accès à l’éducation, à l’emploi et aux soins de santé. Selon une enquête menée en 2014 par l’Institut National de la Statistique, des Etudes Economiques et Démographiques (INSEED), environ 3,6% de la population tchadienne vit avec un handicap. Cependant, ces chiffres pourraient être sous-estimés en raison du manque de données fiables sur le sujet. Les personnes vivant avec un handicap au Tchad ont souvent des difficultés à accéder à l’éducation. Selon l’ONG Handicap International, seulement 1% des enfants handicapés au Tchad ont accès à l’éducation. Les raisons de cette situation sont multiples, notamment le manque d’infrastructures adaptées, le manque de personnel formé pour travailler avec des enfants handicapés, la stigmatisation et la discrimination à l’égard des personnes handicapées. En plus, les personnes vivant avec un handicap au Tchad ont des difficultés à trouver un emploi décent, ce qui les expose à la pauvreté et à l’exclusion sociale.

3,6% de la population tchadienne vit avec un handicap.

Source : INSEED

Malheureusement, on constate que les personnes vivant avec un handicap ne sont pas traitées avec dignité. Lorsque ces personnes ne sont pas cachées par leurs parents dans les arrières cours de maisons comme des pestiférés, elles sont nombreuses (déficients visuels, handicapés moteurs, mal entendants…) à se retrouver dans les artères de la capitale à faire la manche pour subvenir à leurs besoins quotidiens. Cela leur confère, à tort, une image de personnes bannies de la société.

Manque d’inclusion et de financements

Pendant que les autorités publiques s’égosillent à parler d’inclusion à coups de gros projets dans lesquels ils magouillent et trafiquent toutes sortes de gains, rares sont les espaces publics, les ministères ou encore les moyens de transport qui se préoccupent d’installations accessibles aux personnes handicapées, comme des rampes adaptées aux fauteuils roulants ou des bandes d’aide à l’orientation pour les malvoyants.

Aujourd’hui, je ne connais aucun centre au Tchad qui accueille, forme et autonomise les personnes handicapées sans faire l’expérience de grosses difficultés. Il y va aussi bien du centre pour personnes vivant avec un handicap auditif de Bebidja, dirigé par un couple qui s’est sacrifié pour les pensionnaires, que du Centre de Ressources pour Jeunes Aveugles qui fonctionne difficilement depuis plus de 30 ans grâce aux dons et l’appui de l’église catholique…

Les personnes vivant avec les problèmes auditifs traînent souvent dans les quartiers avec des feuilles de papier sur lesquelles il est mentionné un message pour demander de l’aide financière. Les déficients visuels et les handicapés moteurs sont dans les rues où ils mendient à longueur de journée avec leurs enfants en âge d’aller à l’école.

Le décret N°136/PR/MCFAS/du 06 juin 1994 qui traite des personnes vivant avec un handicap ne trouve grâce aux yeux de personne. Car les personnes handicapées continuent de subir leur handicap au quotidien.

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Crédit Photo : AMISOM/Iwaria

Ces handicaps qu’on ne voit pas toujours

La sentence tombe souvent très rapidement lorsqu’une personne présente des troubles mentaux ou des troubles de la personnalité. On la taxe de folle et on l’enchaîne dans une petite pièce lugubre derrière la maison où elle va subir toute sorte de traitements dégradants : sévices corporels à coups de fouets, des incantations, des breuvages à base d’écorces, de racines et de feuilles d’arbres… Parce qu’on ne sait pas ce qu’est une maladie psychologique ou psychiatrique. En cause, le manque de sensibilisation de masse sur ces sujets et le faible nombre de spécialistes, à savoir moins de 10 psychologues et psychiatres dans tout le Tchad. A cela s’ajoutent les problèmes liés aux troubles de l’apprentissage chez l’enfant et la trisomie 21, considérés comme une possession par un esprit maléfique par beaucoup de personnes.

Il est à noter que le Tchad, à l’instar des pays pauvres, est confronté à des défis importants en matière de santé mentale en raison de facteurs tels que la pauvreté, les conflits, les inégalités sociales, les guerres et l’accès limité aux soins de santé. Ce qui rend urgente la compréhension des maladies mentales considérées comme handicapantes. Malheureusement, les informations spécifiques sur ces maladies sont limitées. Toutefois, elles sont réelles et ont un impact considérable dans la vie de tous les jours.

Handicaps invisibles, stigmatisations réelles

Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les maladies mentales handicapantes sont des troubles mentaux qui entraînent une altération significative du fonctionnement psychologique, émotionnel ou social d’une personne. Les maladies mentales handicapantes peuvent inclure des troubles tels que la schizophrénie, les troubles bipolaires, la dépression sévère, les troubles anxieux graves, les troubles du spectre autistique, etc. Au niveau mondial, les maladies mentales handicapantes sont un problème de santé publique majeur. L’OMS estime à environ 450 millions de personnes dans le monde souffrant de troubles mentaux, et près de 1 million de personnes meurent chaque année par suicide, souvent lié à des troubles mentaux. Enfin, 1 milliard de personnes dans le monde, soit 15% de la population, sont porteuses d’un handicap.

Malheureusement, les ressources et les services de santé mentale sont souvent limités dans de nombreux pays africains, y compris au Tchad. Cela entraîne un manque d’accès aux soins et un stigmate social entourant les maladies mentales.

Des jeunes déficients visuels du CRJA/N’Djaména. Crédit Photo : Say Baa

Garantir l’inclusion des personnes handicapées

Plusieurs institutions, dont la Banque mondiale, s’engagent à ce qu’aucun de leurs projets ne soit discriminatoire à l’égard des personnes handicapées, mais il est important d’aller plus loin pour garantir l’inclusion des personnes handicapées dans la société. La promotion de l’égalité des chances des personnes handicapées en matière d’emploi suppose d’interdire la discrimination fondée sur le handicap et exige des mesures pour favoriser leur inclusion sur le marché du travail. Les enfants handicapés au Tchad ont également des difficultés à accéder à l’éducation, ce qui limite leurs chances de réussite et d’insertion sociale.

De plus, les personnes handicapées sont confrontées à des obstacles pour accéder aux soins de santé, notamment en raison de la stigmatisation et de la discrimination. Selon l’OMS, les personnes vivant avec un handicap ont des besoins de santé plus élevés que la population générale.

La situation des personnes vivant avec un handicap au Tchad est un enjeu important pour le développement du pays. En tant que membre de la communauté internationale, le Tchad a un rôle à jouer pour garantir le respect des droits des personnes vivant avec un handicap, ainsi qu’assurer leur inclusion sociale et économique.

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Crédit Photo : Say Baa

Les perspectives d’une meilleure inclusion

Pour améliorer la situation des personnes vivant avec un handicap au Tchad, il est nécessaire de mettre en place des politiques et des programmes qui favorisent leur inclusion sociale et économique. Cela pourrait inclure des mesures visant à améliorer l’accès à l’éducation, à l’emploi et aux soins de santé, ainsi que des campagnes de sensibilisation pour lutter contre la stigmatisation et la discrimination. Il est également important de collecter des données fiables sur la situation des personnes vivant avec un handicap au Tchad, afin de mieux comprendre leurs besoins et de concevoir des politiques et des programmes adaptés.

Bien que le Tchad ait adopté une loi pour protéger les personnes handicapées et garantir leur égalité de chances et de traitement, il reste encore beaucoup à faire pour favoriser leur inclusion sociale et économique. Les personnes handicapées au Tchad ont des difficultés à accéder à l’éducation et à l’emploi, ce qui limite leurs chances de réussite et d’insertion sociale. Il est important de mettre en place des politiques et des programmes qui favorisent l’inclusion des personnes handicapées dans la société, en luttant contre la stigmatisation et la discrimination et en garantissant leur accès à l’éducation, à l’emploi et aux soins de santé.

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Auteur·e

lafenetreetoilee

Commentaires

Mbailassem Francis
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Les personnes handicapées doivent et mérites d'être traitées avec dignité et leur accorder la chance de travailler et nourrir leurs familles. Il y'a des compétences dans cette couche vulnérables que sont les personnes vivant avec handicap. Que le gouvernement tchadiens fasse une bonne politique.