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L'exploitation économique au Tchad à deux noms : Bourma-Gentille et Djim !

Je suis sûr que vous avez déjà vu circuler sur la toile tchadienne ces dernières semaines cette vidéo d’un jeune garçon de la vingtaine, les bras attachés dans le dos et qui se fait égorger comme une bête… Il serait originaire de la province de la Tandjilé, parti dans le nord du pays pour travailler en tant que berger. Il aurait égaré un dromadaire ce jour-là et sa sentence était tombée… des cas de tortures, de sévices de tout genre et d’humiliation sont monnaie courante et souvent assez relayé sur les réseaux sociaux ces dernières années. Ces cas de traitements inhumains concernent majoritairement les travailleurs domestiques souvent réduits en esclaves dans la plupart des grandes villes tchadiennes.

L’exploitation économique et le travail forcé sont des problèmes préoccupants au Tchad. Le pays est confronté à des défis économiques, politiques et sociaux qui ont des répercussions directes sur les conditions de travail et les droits des travailleurs.

Pour la petite histoire, il est de coutume dans plusieurs ethnies du Tchad que les garçons adultes quittent les villages et aillent en ‘’aventure’’ (c’est le terme utiliser pour désigner ces jeunes travailleurs) dans les grandes villes, des fois dans les pays voisins notamment le Cameroun et le Nigéria pour y travailler et amasser un peu d’argent. Généralement, dans ces pays et grandes villes, ces jeunes constituent une main-d’œuvre à vil prix car ils sont prêts à travailler dans tous les domaines pourvu d’avoir un peu d’argent et de ne pas être catalogués de fainéants une fois de retour dans leurs villages respectifs. Ce voyage à plusieurs fonctions. D’abord permettre aux jeunes de profiter d’un long voyage et ses aléas, de découvrir un autre pays ou une grande ville. Ensuite de pouvoir travailler, gagner de l’argent et faire des économies en toute autonomie pour réaliser des projets personnels. Enfin rentrer chez soi après quelques mois ‘’d’aventure’’ pour réaliser lesdits projets. Habituellement, le jeune s’achète un vélo (le saint graal dans les villages lointains), quelques habits, un gros poste radio pour ambiancer ses amis restés au village pendant des fêtes mondaines pour leur donner l’envie de franchir le cap, acheter une vache, se marier, faire des cadeaux à ses parents… Vous l’avez compris, c’est une sorte d’initiation pour passer le cap de l’enfance vers celui de l’adulte qui se serait confronter aux difficultés de la vie au préalable.

Il faut tout de même rappeler que ces aventures ne finissent pas toujours comme dans un conte de fée. Il s’est toujours raconté des histoires de travail forcé, de vol, d’escroquerie etc. mais tout cela sans pour autant décourager les aventuriers. Au contraire. Ils y vont aussi dans le but de déjouer ces genres d’obstacles.

Certes les années 90 et le début des années 2000 ne sont pas pareils que 2023 par exemple. Mais le problème de fond reste globalement le même : la quête de l’argent !

Crédit Photo : AMISOM/Iwaria

Pourquoi en 2023 un jeune décide de quitter son village pour aller travailler ailleurs ?

D’entrée de jeu, il faut noter que plusieurs facteurs contribuent à l’exploitation économique et au travail forcé au Tchad. Parmi eux, on peut citer le manque de réglementation et de contrôle du travail (même si le SMIC est de 60.000 FCFA, le changement climatique qui impacte sur la qualité de la production agricole, la plupart des travailleurs domestiques gagnent deux, trois voire quatre fois moins que cela), la pauvreté, la corruption et l’instabilité politique. Le manque de réglementation et de contrôle du travail permet aux employeurs d’exploiter les travailleurs en les soumettant à des conditions de travail dangereuses, insalubres et non rémunérées. La pauvreté pousse de nombreuses personnes à accepter des emplois précaires et mal rémunérés, les rendant vulnérables à l’exploitation économique. De plus, la corruption et l’instabilité politique affaiblissent les institutions chargées de protéger les droits des travailleurs, favorisant ainsi l’exploitation économique et le travail forcé.

Avec la précarité actuelle et Boko Haram qui sévit depuis plus d’une décennie au Cameroun, au Nigéria et dans la zone du Lac Tchad, beaucoup de jeunes des deux sexes s’adonnent à un exil économique certains sont vendus comme du bétail dans les grandes villes tchadiennes (dans le grand nord et l’Est pour devenir berger ou orpailleur) notamment N’Djaména. Ici, les jeunes filles sont coptées par des familles pour faire à peu près tout : les courses, la cuisine, la vaisselle, la lessive, faire les nounous, le balayage… pour à peine 30.000 frs le mois. Parmi elles, des filles qui travaillent journalièrement. Elles flânent dans les rues de certains quartiers de N’Djaména au lever du soleil dans l’espoir de faire de la plonge dans des familles pour 500 FCFA ou 1000 FCFA et espérer trouver le reste de la nourriture de la veille pour manger un peu. Souvent, c’est le seul repas qu’elles mangeront de la journée… Ces filles bonnes à tout sont régulièrement victime d’attouchement et de d’abus sexuel surtout lorsqu’elles sont engagées dans de grandes familles ayant beaucoup de garçons sous le toit. Et généralement, la loi de l’omerta l’emporte sur le mal-être…

Les garçons eux aussi s’occupent de plusieurs choses à la fois lorsqu’ils sont engagés dans des familles : nettoyer la cour de maison, arroser les plantes, laver les engins (motos, véhicules), faire certaines courses, laver des tapis… D’autres choisissent de faire de la cordonnerie pour rester indépendants. Dans tous les cas, ils/elles voient les charges fixées dans le deal de départ augmenter drastiquement et ces personnes finissent par travailler plus de 10 heures par jour. La moindre riposte, la moindre réclamation de leur part suffit à les faire passer à tabac. Ils sont souvent accusés à tort de vol et sont battus jusqu’au sang, l’acte filmé et partager sur les réseaux sociaux, notamment via WhatsApp. Des femmes et des hommes réduits en esclaves au vu et au su de tous.

Crédit Photo : MEDSILE/Iwaria

A ces jeunes, on prend tout : leur temps, leur dignité, leur espoir et même leurs noms car dans ces familles leurs noms sont trouvés d’avances. A toutes les filles ont leur donnera les mêmes noms : ‘’Mami’’ ou ‘’Bourma Gentille’’ (traduisez par ‘’une gentille marmite’’ en arabe tchadien). Les garçons seront appelés Djim ou Djak. Dans les deux cas la majorité des tchadiens les appelle ‘’Makoula’’ (dérivé de la langue Ngambaye ‘’Maou koula’’ qui veut dire ‘’Je vais travailler’’) ou alors ‘’fonctionnaires de la rue de 40’’.

N’Djaména est classée parmi les villes les plus chères d’Afrique et lorsque ces jeunes quittent leurs villages, ils viennent en petits groupes. Une fois dans la capitale, ils seront majoritairement logés dans le 7e arrondissement et le 9e. Au vu de la précarité de leurs métiers, garçons et filles s’entendent et prennent une chambre de 15 mètres carrés pour 10 personnes au détriment de l’intimité et tout simplement de la dignité humaine. Cela amoindri le coût de la location pour tout le monde…

Selon un rapport de l’Ambassade des Etats unis publiés en 2021 sur la traite des personnes, le gouvernement tchadien ne respecte pas pleinement les normes minimales pour l’élimination de la traite des personnes. Une thèse qui vient appuyer le rapport de l’OIM de 2011.

Les conséquences inimaginables de l’exploitation économique et du travail forcé

Les conséquences de l’exploitation économique et du travail forcé sont graves et touchent à la fois les travailleurs et la société dans son ensemble. Les travailleurs sont souvent sans perspectives, victimes d’abus physiques pouvant conduire à la mort, de mauvais traitements, de discrimination et de conditions de travail dangereuses. Ils sont privés de leurs droits fondamentaux, tels que la santé, la liberté d’association, la protection sociale et la sécurité au travail. De plus, l’exploitation économique et le travail forcé contribuent à la perpétuation du cycle de la pauvreté et de l’inégalité, en empêchant les travailleurs d’accéder à des emplois décents et à des opportunités de développement économique.

Ceci appelle à la responsabilité directe de l’État pour protéger et défendre ces travailleurs non pas seulement en tant que tchadiens mais surtout en tant que personnes !

Crédit Photo : Chemsdine/Iwaria

Il faut protéger les jeunes de l’exploitation économique et du travail forcé

Les résultats de la recherche du Centre de Recherche en Anthropologie et Sciences Humaines (Crash) en collaboration avec Voice4Thought, ‘’Étude sociodémographique et anthropologique de la situation des femmes et des jeunes (Fonctionnaire de Rue de 40m) dans le 7e arrondissement de la ville de N’Djamena’’ publié en 2022 affirmait ceci : ‘’Selon nos résultats ces jeunes sont originaires de plusieurs régions notamment du sud du Tchad: le Logone occidental, le Mandoul, le Moyen-Chari, le Logone Oriental, la Tandjilé et le Loug Chari. Ces régions, considérées comme le poumon agricole se voient actuellement vider de ses bras valides à la cherche du mieux-être en ville où ils sont mal accueillis. Ainsi N’Djaména est considéré comme un « Eldorado tchadien » et plus précisément pour les jeunes ruraux. Il faut absolument y aller pour s’enrichir au plus vite.’’

Pour lutter contre l’exploitation économique et le travail forcé au Tchad, des mesures doivent être prises à différents niveaux. Tout d’abord, il est essentiel de renforcer la réglementation et le contrôle du travail, en veillant à ce que les lois protégeant les droits des travailleurs soient appliquées de manière effective. Les autorités doivent également s’attaquer à la corruption et à l’instabilité politique, qui affaiblissent les institutions chargées de protéger les travailleurs. En outre, il est crucial de sensibiliser les travailleurs aux droits qui leur sont accordés et de renforcer leur capacité à revendiquer ces droits. Il faudrait impérativement que la société civile documente les cas d’abus liés à l’exploitation économique et au travail forcé afin d’inciter les parlementaires à engager des réformes législatives. Il faut protéger les victimes et condamner les trafiquants d’être humains conformément à la loi 006/PR/18 portant élimination du travail forcé.

Il faut retenir que l’exploitation économique et le travail forcé sont des problèmes majeurs au Tchad, qui nécessitent une attention urgente. Les causes de ces problèmes sont multiples, ainsi que les conséquences. De même, pour lutter contre ces problèmes, il est essentiel de renforcer la réglementation et le contrôle du travail, créer plus d’emplois décents dans les domaines de l’agriculture, la pêche et de l’élevage, de sensibiliser les travailleurs à leurs droits et de renforcer la capacité de la société civile. Il faut agir ensemble pour mettre fin à l’exploitation économique et au travail forcé au Tchad.

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Auteur·e

lafenetreetoilee

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