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Au Tchad, douze féminicides en un trimestre… Correspondance à Sandrine NAGUERTIGA et au monde !

Aujourd’hui, j’envoie une correspondance d’un homme en miette à ma consœur Sandrine Naguertiga du blog Youngleader

Bonjour chère Sandrine, c’est Say Baa… 

Aujourd’hui, je te donne quelques nouvelles du pays, de nos sociétés. Des nouvelles que tu connais déjà sûrement, celles-là même qui se donnent avec le cœur lourd, la larme au coin de l’œil et la certitude de l’impuissance. Hélas ! Les mots craintifs que j’écris auront sûrement un écho différent auprès de beaucoup de personnes. Mais entre nous, s’il y avait des mots plus résilients, plus courageux, plus solides, plus fédérateurs pour exprimer ce que seul mon cœur récent et ce dont seul mon esprit comprend le poids, je les aurais employés bien volontiers. Pour me sentir humain… Enfin !

Comment dire les choses autrement, simplement, chère Sandrine, quand on a l’impression que la société est réglée contre elles ? Que parler ne suffit plus ! Que sensibiliser n’est plus qu’un vain mot ! Que vivre n’est même plus digne de l’humain ! Au fond de moi, crois-moi, je veux bien y croire ! Je veux bien m’accrocher à quelques espoirs, sinon un seul, pourvu qu’il pèse réellement dans la balance.

Il est loin le moment où on rendait hommage aux femmes pour leur amour et leur force, elle est révolue cette époque des femmes reines, mieux encore, déesses. On ne sait même plus contempler le sourire sincère et angélique des femmes parce que brisées par des viols odieux soutenus par l’omerta.

Chère Sandrine, j’aurai voulu te dire que plus de jeunes filles vont à l’école, qu’il n’y a plus de mutilations génitales ici, que le mariage des enfants est aboli, que les femmes ne craignent plus de se retrouver seule dans une rue, qu’il y a une justice pour les victimes, que les gens s’aiment d’un cœur d’enfant… J’aimerai y croire… Mais ni mes efforts, ni ma foi ne sont infaillibles. 

Même s’il y a des gens qui se sont assignés la vocation de protéger la vie humaine parce que sacrée, d’autres ont choisi de la détruire sans scrupule. Et les chiffres d’ONU femmes ont de quoi nous retourner le cœur. Dans le monde, 81 000 femmes et filles ont été tuées en 2020, dont environ 47 000 (soit 58%) par un partenaire intime ou un membre de la famille. Ce qui équivaut à une femme ou une fille tuée toutes les 11 minutes dans son foyer. Vois-tu chère Sandrine, on a des nuits agitées et les réveils ne sont pas pour nous rassurer non plus. De mémoire, je me souviens : 

  • Une femme et sa fille ont été assassinées le 18 mars 2020 à Bologo, dans le département de la Tandjilé Ouest.
  • En septembre 2021 il y a eu deux féminicides. Un homme a tué son ex-femme à coups de poignard à Bechaketek, près de Goz Beida, dans la province du Sila. 
  • Au Hadjer Lamis, un homme a égorgé sa femme, Halimé Hassan, âgée de 18 ans, parce que la jeune femme voulait divorcer.
  • 25 novembre 2021, un homme tue froidement sa femme à coup de sagaie, au quartier Walia, dans la commune du 9eme arrondissement à N’Djaména.

Le trimestre noir…

Chère Sandrine, pour ce premier trimestre de l’année 2023, le Tchad comptabilise déjà douze cas de féminicides. On ne les compte pas, les cas dans les villes et villages reculés, ceux gagnés par l’omerta. Il n’y a que dans ce pays que les féminicides se règlent à l’amiable… Vois-tu à quel point le mal est profond ?

Le 9 janvier, Prudence Dombeti une jeune femme, mère de 4 enfants, a été tuée à Abéché. J’ai vu les images de son corps en état de putréfaction, j’ai vu ces images de son corps lacéré et sans vie, j’ai surtout vu la patte d’un homme abjecte et sans cœur planer sur son cadavre…

Le 17 mars, Boumnodji Félicité, une femme de la quarantaine passa de vie à trépas à coups de poignard.

Ce qui me chagrine d’avantage chère Sandrine c’est le silence de la justice, le manque de sérieux dans le traitement des dossiers. Je suis d’avantage affliger par le fait que des Hommes, pour une histoire d’intérêts égoïstes se substituent aux auxiliaires de justice pour des règlements à l’amiable des cas aussi crapuleux que ces meurtres. Ce qui me désole aussi c’est comment ces cas passent pour des banals faits divers. 

Ces deux dernières années, la Ligue Tchadienne des Droits des Femmes a eu connaissance d’au moins 5 cas d’agressions sexuelles par jour. Dans ces cas-là, croire en un meilleur avenir devient usant et chimère.

Chère Sandrine, demain, je voudrais t’écrire une note qui commencerait par beaucoup de mots d’espoir et de passion. Que les enfants de Prudence Dombéti et ceux des autres victimes ont eu des réponses à leurs innombrables questions, que la vie leur aurait réservé de nouveaux destins, que dans leurs cœurs, il y aurait de la place pour cultiver la justice afin de répandre les graines de paix et de valeurs humaines dans leur entourage…

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Auteur·e

lafenetreetoilee

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