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Les musiques traditionnelles seraient-elles plus perverses que les musiques urbaines ?

De nos jours, au Tchad comme dans d’autres pays, on reproche à beaucoup de chansons de porter des lyrics trop explicites : vulgarité, érotisme, sexe, dépravation, pornographie orale… Le phénomène est tel que certains parents interdisent même à leurs enfants d’écouter de la musique urbaine pour les préserver de toutes ces grossièretés. Très souvent, ces jeunes sont encouragés à écouter des louanges du Seigneur, du gospel qui véhicule des paroles d’amour, d’espoir, de bonté… Ou alors, on leur clame le retour à la source, à l’africanité, à la musique traditionnelle… Oui c’est beau et on est d’accord que la plupart des musiques que nous les connaissons bien aujourd’hui sont d’inspiration africaine ! Mais peut-on pour autant affirmer que le répertoire musical moderne est plus explicite que le répertoire traditionnel ? 

Dans ce billet, je vous parlerai de mon expérience personnelle, de ma petite connaissance de la musique en général et des musiques dites traditionnelles de chez moi.

Des percussionnistes entourés de femmes qui chantent et dansent. Crédit Photo : Say Baa

Les influences musicales de mes années d’enfance et d’adolescence…

Comme beaucoup, j’ai commencé à écouter de la musique très tôt à l’époque des casettes et CDs, j’écoutais aussi les nouveautés africaines directement sur la radio Africa N°1 ou sur RFI. A la maison, on écoutait de la musique tchadienne, congolaise, malienne et sud-africaine principalement. Pour tout vous dire, elles étaient rares les musiques dont je comprenais vraiment le sens des paroles. A l’époque des MP3, je devenais de plus en plus autonome sur les choix des musiques que je voulais écouter. A cette époque, j’ai commencé à assister à la mise en chant du sexe, en toute autonomie…

…Écoutant du ‘’Fuck you’’, ‘’Niques ta mère’’… Mais plus encore :

‘’J’ai taché tes draps, désolé, je visais ton visage’’ 

‘’Sois une gentille fille maintenant, / Retourne-toi et prends ces coups de fouet, / Tu sais que tu aimes ça comme ça / Tu n’as pas à te battre / Voici une piqûre d’oreiller… ça’’, 

‘’J’ai connu une fille nommée Nikki / Je suppose que vous pourriez dire qu’elle était un démon du sexe / Je l’ai rencontrée dans le hall d’un hôtel / Se masturber avec un magazine / Elle a dit comment aimeriez-vous perdre du temps / Et je n’ai pas pu résister quand j’ai vu la petite Nikki broyer.’’

Avouez que ces paroles sont très orientées, elles donnent une image négative des femmes, on peut difficilement faire mieux en termes de perversité…

Des chanteurs de renoms comme Charles Aznavour, Brigitte Bardot, Johnny Hallyday, Georges Brassens (que j’écoute beaucoup) … ont déjà vu leurs œuvres censurées criant au scandale à leur époque ! Il faut dire qu’aujourd’hui encore les musiques des artistes que nous connaissons et consommons très souvent à l’instar de Booba, Shay, Damso, du groupe Kiff No Beat… ne passent pas à côtés des oreilles chastes de certains mélomanes. Mais la différence aujourd’hui, c’est qu’on a comme l’impression que les paroles explicitent choquent de moins en moins, elles ont été banalisées. On croirait même qu’on pourrait dire bonjour à une personne par une expression sale du genre : ‘’Yo, niques ta race !’’ Et trouver cela cool !

Say Baa sur une scène au Cameroun en 2014

Vers 1980, du côté du pays de l’oncle Sam, on a assisté à la création du Parents Music Resource Center, consistant à apposer des étiquettes d’avis parental (Parental Advisory) sur les albums dont le contenu était jugé inapproprié, trop explicite…

Dans les années 50, 3% des titres classés dans les charts parlaient de sexe, dans les années 70, ils passent à 40%, en 2009, ils sont 92% à y faire allusion. Depuis, on assiste à une progressive hyper sexualisation des textes et de leurs interprètes.

Mais peu importe les avis des uns et des autres à ce sujet, les grands noms de l’industrie musicale sont d’accord sur une chose : le sexe fait vendre !

L’appel à la haine et les paroles violentes

Dans la musique urbaine, il ne s’agit pas que du  »sexe » mais aussi beaucoup de haine ! Un peu trop peut-être : « On leur pisse dessus ! » des paroles contre les forces de l’ordre par le groupe NTM, ou Abdul X qui dit à propos des policiers : « Si t’en vises un, tue-le (…) mets-lui une balle dans sa race » ; ou encore Nick Conrad : ‘’Je rentre dans des crèches, je tue des bébés blancs / Attrapez-les vite et pendez leurs parents, / Ecartelez-les pour passer le temps, / Divertir les enfants noirs de tout âge petits et grands ». Et Jo le Pheno qui targue : « J’pisse sur la justice et sur la mère du commissaire ».

Ces paroles, c’est aussi ce qu’écoutent les enfants, grands consommateurs de musiques urbaines. Face à ces paroles de haine, peut-on dire qu’on a franchi la ligne rouge ? Que c’est bien pire que de parler de sexe dans un chant ?

Sexualité et musiques traditionnelles africaines

Laissons un moment le monde de la musique urbaine de côté, que ce soit de la pop, du hip-hop, du rap… et attaquons-nous à nos musiques traditionnelles africaines et plus précisément à leurs paroles (ici, je vous parlerai de quelques genres musicaux traditionnels que je connais et dont je comprends les langues).

Comme la musique ‘’moderne’’, les chants traditionnels africains n’ont pas tous les mêmes vocations. Certains invoquent les divinités, d’autres honorent et glorifient les légendes. De la même façon, certains sont très lyrics et d’autres plus rythmés… Dans ce mélange de genre et de styles, nous avons des musiques qui ont vocation à parler de la sexualité comme si le tabou s’amenuisait dans l’harmonie des mélodies et le sexe est ainsi hissé sur un piédestal. Le tout chanté aussi bien par des hommes que par des femmes.

Chez nous, les musiques sont différentes et s’exécutent selon les circonstances. C’est le cas dans plusieurs cultures. Ainsi, on aura des chants et des danses dédiés à la fertilité. Les textes très parlants sont suivis de pas de danse qui sollicite principalement la hanche et qui inviterait presque à ‘’l’accouplement’’. On retrouve ce rite dans plusieurs cultures.

Une danse de la région du Guéra au Tchad entre des jeunes filles et garçons. Crédit Photo : Say Baa

Au pays Tupuri, le Dilna (harpe archée) qui est un instrument de musique qui porte également le nom du genre musical est utilisé pour simplement raconter le vécu de celui qui l’exécute, ou une autre histoire, chanter l’éloge d’une figure emblématique du village, rendre hommage aux défunts…                                                                                         

C’est également un genre musical très porté vers le sexe social. Par exemple le célèbre chanteur Biyamo dit dans un de ses innombrables textes : ‘’Ma libido est explosive et je ne peux trouver du sexe parce que je suis à Touloum’’. Il raconte dans un autre dilna, une de ses aventures avec une nymphomane : ‘’Elle est insatiable, j’ai tout fait, mais rien n’y fait, je l’ai pénétré jusqu’aux testicules, mais elle était toujours insatiable.’’  ‘’Je lui ai demandé où se trouvait son clitoris, elle m’a répondu qu’il était juste là et que son trou (vagin) n’était pas loin, avec quatre poils pubiens autour’’. Un autre texte resté longtemps très controversé. Son auteur dit en gros que sa ‘’Chérie a un meilleur jeu de rein que sa maman…’’ Pour dire qu’il a sexuellement connu les deux.

Le Wouilé ou Lélé est chanté par des femmes de tous les âges. Cette musique est très riche en texte mais au-delà de sa vocation à dénoncer les tares de la société, beaucoup de compositions tombent très rapidement en dessous de la ceinture dans une vulgarité quelque peu déconcertante.

Je me demande bien si les vieux sont vraiment plus pudiques que la nouvelle génération ? A l’écoute des chants traditionnels, on se pose légitimement la question…

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Les effets des musiques ‘’sexuées’’ sur les enfants 

A priori, écouter de la musique aide à apaiser, à réduire l’anxiété, à se motiver, à se sentir bien, à libérer la dopamine… Mais quand on prend en compte les sens des mots, le contenu des lyrics, les avis divergent quant aux bienfaits (réels) de celle-ci.

Finalement, la question ne se pose plus (trop) parce que les enfants sont exposés (radio, tv, internet…) aux chansons et aux paroles osées avant même de savoir parler ! Ils intègrent un vocabulaire sexuel au même moment que les mots « maman » et « papa », sans comprendre tout le sens de ce qui est dit.

Toutefois, selon une étude américaine (American Academy of Paediatrics (2009). « Bad rap : Can music lyrics with negative references affect kids’ behavior? »), les paroles de chansons violentes, racistes, homophobes ou sexistes pourraient avoir un effet sur certains jeunes : des recherches ont démontré qu’il existe de possibles corrélations entre les préférences des adolescents pour certains genres musicaux et les comportements à risque.

Dites-moi en commentaire, si vous avez déjà écouté des chants traditionnels avec des textes osés. Je serai curieux de lire ces paroles…

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lafenetreetoilee

Commentaires

Foumilayo Assanvi
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Ce billet fait rire et fait réfléchir. Moi, j'écoute beaucoup de rap et je ne peux pas dire que les paroles sont les plus saines. Et les musiques traditionnelles sont remplies de vulgarité aussi, comme tu l'as démontré. Le fait qu'elle soit exprimée dans nos langues locales contribue certainement à ce qu'on les minimise. Mais, il y a certains artistes qui réussissent à passer leur message sans vulgarité et d'autres qui font reposer leurs messages sur la vulgarité. Parce qu'en fait, c'est vendeur. L'étiquette Parental Advisory sur les pochettes n'est qu'un stimulant de plus pour écouter le morceau. On cherche à découvrir quelle vulgarité on nous a encore sorti. Au delà de la vulgarité, certaines musiques sont clairement plus vouées à la vulgarité que d'autres. Rare ou Impossible de retrouver un "fuck you" dans un morceau de gospel. L'idéal est d'éviter que ces genres musicaux (rap, rock, hip hop, rnb, metal...) n'arrivent pas trop tôt à l'oreille des plus jeunes, mais difficile quand ils sont diffusés partout malgré les restrictions... Chacun doit pouvoir tirer d'un morceau ce qu'il recherche : s'ambiancer et ne jamais tenir compte des paroles ou s'ambiancer et tenir compte des paroles ou ne pas s'ambiancer et tenir compte des paroles. Il faut choisir. Après, il y a des extrêmes qu'il faut clairement éviter et censurer. Merci pour cet article.

lafenetreetoilee
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C’est un parfait résumé !
L’industrie musicale est tellement bien rodée que tout est fait pour nous exposer toujours plus aux paroles explicites peu importe notre âge. On a tendance à croire que la responsabilité incombe aux parents de protéger les enfants des paroles osées. C’est vrai d’une part, mais il ne suffit pas d’une remontrance pour que les radios, les tv et internet se mettent au pas.

On pense à tort que les musiques traditionnelles sont plus pudiques. Sans doute parce que peu de personnes connaissent les paroles, pas assez médiatisées et que beaucoup de jeunes (de la ville) ne comprennent pas souvent leurs langues...

Peu importe ce que l’on pense, ces musiques sont vraiment ‘’sales’’ ...??

Moadjidibaye John Madjiyam
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Bravo pour ce travail. En tant qu'enseignant de musique à l'INJS(Institut National de la Jeunesse et des sports, j'aurais bcp à dire. Cependant le contexte ne me laisse guère la latitude de donner plus amplement mon point de vue, mes expériences. J'espère avoir l'occasion une autre fois. Parlant des textes sexistes de la musique traditionnelle, j'en ai rencontré. Il y a des chants destinés aux danses autour du feu au village (en Sarah madjingaye, une langue du Sud) qui parlent du sexe sans tabous. Je me rappelle qu'à l'époque à Sarh, il fallait avoir un certain âge pour assister à ces danses. Depuis lors, je n'en ai plus entendu parlé. Aujourd'hui, il y a des chants qu'on chante pendant les cérémonies de dot qui st trop sexistes. On peut retrouver des chants du genre"mo'd boni, lalé mba, mo'd mbahi, sariya goto" qui dit littéralement"je te touche le pubis, bonjour étrangère, je te touche les seins,sans condamnation". Cela est chanté qd les femmes apportent les effaires pr la dot à l'autre famille (ce st les jeunes dames qui en ont la charge généralement).
Je pourrais relever un autre exemple de chant avec des paroles du genre"nguirim i té guirim t' awou, ko'r a ass'm sehi" qui se traduit"mon vagin quitte et vas t'en, j'en ai marre de toi". C'est chanté pendant les cérémonies de réjouissances.
Je dirai pour finir que l'éducation musicale est une chance pour l'humanité. Car il est évident et démontré par les scientifiques que la musique a effet positif sur l'enfant (dvlppe ses facultés) l'Homme(aide à s'apaiser et même curatif contre des maladies comme Alzheimer). Cpdt il s'agit d'être sélectif. Ici l'accent est mis sur la mélodie (la musique classique est conseillée). L'industrie de la musique chrétienne fait un travail formidable. On a la garantie d'écouter des paroles saines donc bien pr les enfants.
Pour le côté sexiste, je pense que c'est une histoire d'adultes stressés après des journées de dure labeur, et fatigués du conformisme exaspérant de la société. Donc ces adultes pour décompresser ont envie d'avoir un cadre à eux ou dire certaines choses crues et sans tabous. C bon pour leur moral. Donc on essaie de comprendre pr ne pas condamner. Merci pour cette plateforme. J'aime écrire donc j'y ferai un tour de tps à autre.

lafenetreetoilee
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Que dire de plus, si non merci pour ces belles précisions, ces exemples d'une rare justesse !!! Nous (jeunes ayant grandit dans des ''grandes villes'') manquons souvent d'informations par rapport au sens des certaines chansons et finissons par ne accorder que très peu de temps et d'intérêt à les comprendre. Il est primordial, pour la sauvegarde de nos richesses culturelles de nous appesantir sur ce genre de sujets afin de laisser des traces écrites et numériques pour l'éducation à nos cultures ! Je crois qu'ensemble nous pouvons développer un petit projet dans ce sens ! Je vous écris en privé pour en parler plus amplement !
Encore merci !!!