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Le code de la famille, la laïcité et l’État tchadien : les parfaits partenaires du crime

Il y a environ 25 ans, le Tchad se penchait sur un avant-projet de loi prévoyant un code laïc de la famille censé soutenir le statut de la femme et de l’enfant. Depuis, le législateur s’est bien mélangé les pinceaux avec les enjeux sociologiques, politiques, religieux, juridiques… le tout sous le regard incrédule de la laïcité pourtant consacrée par la Constitution tchadienne.

Sans code de la famille, les femmes et les enfants se retrouvent exposés à beaucoup de problèmes liés au mariage précoce, à l’absence de consentement de la jeune fille, au divorce, au droit de succession des enfants nés hors mariage vis-à-vis des enfants légitimes… 

Crédit Photo : Pixabay/Iwaria

Le projet de loi prévoyant le code de la famille : entre religion et laïcité

Le débat entre la religion et les affaires étatiques est vieux comme le monde et les théories développées tout autour ne sont pas près d’aboutir à un compromis. Au Tchad, il y a d’un côté l’Islam et de l’autre le Christianisme (les deux principales religions du pays) dont les pratiquants sont tenus de respecter les préceptes.

Pour l’Islam fondamentaliste, le Coran doit être respecté au pieds de la lettre ou alors totalement ignoré. Il n’y a pas de compromis à y faire. De ce fait, le statut des personnes est régi par ce cadre institutionnel islamique mais surtout dans un autre volet important comme la Charia.

« Un code de la famille unique est pratiquement impossible, les réalités sont multiples : nous voulons que chaque communauté ait son propre code« , explique le chargé des relations extérieures de l’Union des cadres musulmans Abakar Ali Imam à la Deutsche Welle, au micro de Blaise Dariustone. »Imposer un code à une communauté, on n’est pas d’accord. Aujourd’hui, les musulmans ont rédigé leur propre code et une copie de notre code est à l’Assemblée et nous demandons aux autres communautés d’élaborer leur code dans lequel elles se retrouvent« , ajoute-t-il.

Mais alors dans ce cas, quel intérêt de parler de la laïcité si chaque communauté tchadienne devrait avoir son propre code ?

Déjà dans la Rome antique, avec l’avènement du christianisme, les chrétiens reconnaissaient l’autorité politique de l’empereur mais en refusant de s’impliquer dans une religion dite de l’État, et de reconnaître la divinité de l’empereur. Cette opposition face au cumule du pouvoir mondain, civil et de l’autorité religieuse a toujours animé le christianisme et les chrétiens. On lit dans l’Évangile de Marc 12 : 17 : « Rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »

Depuis, les choses évoluent au rythme de nos civilisations, de ce monde et de nos cultures mais à bien des égards, les gens ne semblent toujours pas trouver des compromis entre religions et laïcité. Pourtant, les tchadiens de toutes les confessions religieuses sont appelées à partager la vie civile, politique et confessionnelle telle que prôné par les textes de lois.

Crédit Photo : Amisom/Iwaria

Le projet de loi prévoit le Code de la famille ‘’porté’’ de façade par la Constitution et les traités internationaux

Il faut avouer que l’État tchadien semble être dépassé face à cet avant-projet de loi vieux de 25 ans prévoyant le Code de la famille. Pour cause : la religion, la culture et définitivement son laxisme déconcertant. Pour connaître des affaires de famille, le juge tchadien se pavane entre le code civil français de 1958 et la coutume alors même que la Constitution tchadienne consacre dans son article premier que : ‘’Le Tchad est une République souveraine, indépendante, laïque, sociale, une et indivisible, fondée sur les principes de la démocratie, le règne de la loi et de la justice.’’

Au-delà de la Constitution, le Tchad a ratifié plusieurs conventions tendant à l’amélioration des conditions des personnes en droit. Il est dit que les pays ayant ratifié une convention s’engagent à l’appliquer en droit et en pratique et à faire rapport sur son application à intervalles réguliers.

  • Le Tchad affirmait déjà son attachement aux principes de droits de l’Homme tels que définis par la Charte des Nations unies de 1945 et la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948.
  • Le Tchad a ratifié la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui a été adoptée le 27 juin 1981 à Nairobi lors de la 18e Conférence de l’Organisation de l’Union Africaine. Elle est entrée en vigueur le 21 octobre 1986, après sa ratification par 25 états ;
  • Le Plan d’action mondial sur la population qui stipule, entre autres principes, que l’objectif essentiel est le développement social, économique et culturel des pays ;
  • La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’égard des femmes adoptée le 18 décembre 1979 par l’Assemblée Générales des Nations Unies…
Crédit Photo : Magassa Muss/Iwaria

Les rôles sont partagés pour le crime parfait 

Il y a lieu de se demander si la frontière entre religion et État de droit n’est pas une menace pour l’émancipation de la famille tchadienne ? 

On est au 21e siècle et certaines pratiques semblent directement surgir de l’antiquité. Si non comment comprendre que des filles de dix (10) ans à peine soient envoyées en mariage sous le prétexte que c’est pour leur bien, que le Prophète s’était marié à une fille de neuf (9) ans ? Quel est le bien-fondé de cette pratique dans un monde en perpétuelle évolution, un monde dans lequel la place est à l’égalité des sexes, le droit de chaque individu de vivre sa vie en ayant un minimum de choix ?

Selon une publication de l’UNFPA en 2015, au Tchad, deux (2) filles sur trois (3) sont mariées avant l’âge de 18 ans. Pour cause : les pesanteurs socioculturelles, la pauvreté, les conflits et les inégalités basées sur le genre…

Pendant que l’État joue la figuration avec des législateurs et des individus qui profitent du système, la famille tchadienne en général en pâtit :

  • C’est la fille envoyée en mariage trop tôt, sans son consentement ; 
  • C’est cette gamine à la place de laquelle d’autres personnes choisiront et décideront ;
  • C’est cet enfant qu’on traitera de bâtard toute sa vie et qui n’aura aucun avantage sur la succession de son père ; 
  • C’est cette femme qui n’aura pas droit à la parole sur sa propre famille après le décès de son époux… 

Entre-temps, on criera sur tous les toits de l’évolution des droits des femmes, du respect qu’on leur accorde dans des longs discours truffés de beaux sentiments, des éloges vides de sens… Face aux morts, face aux tombes des rêves partis trop tôt, des espoirs en cages et des âmes qui n’auront pas goûté à la liberté sur Terre… 

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Auteur·e

lafenetreetoilee

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