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Gestion des cimetières au Tchad : quand t’es mort, t’es mort !

A N’Djaména, les espaces dédiés aux inhumations sont mal gérés et souvent très étroits. Face à la croissance démographique de la ville, des cimetières se trouvent vandalisés au nom du développement.  Retour sur cette dévalorisation des lieux de sépulture…

Selon une tradition de l’église catholique, le 1ernovembre de chaque année, l’on honore la mémoire des Saints et tous ceux qui de leur vivant ont vécu dans la fidélité à l’Évangile. Cette tradition qui s’est étendue au-delà du catholicisme est à ce jour un rituel au cours duquel, les gens consacrent du temps à la célébration de ceux qui les ont précédés. C’est le moment, une fois dans l’année de prendre soin de nos morts en souvenirs ou en s’occupant de la salubrité des tombes par exemple.

Cimetière de Ngonba à N’Djaména

Encore faut-il qu’il y ait des tombes pour en prendre soin…

Ce n’est pas parce que certaines personnes nous ont précédé qu’elles ne comptent plus, qu’elles n’ont plus de places dans nos vies comme de leur vivant.

Il faut le dire, la ville de N’Djaména connaît une croissance démographique accélérée du fait de sa jeunesse. Les gens qui habitaient certains quartiers en périphérie de la capitale tchadienne il y a quelques années, se retrouvent à l’étroit.

Si la capitale tchadienne enregistre un fort taux de croissance démographique, il va de même des cas de décès qui se chiffrent à plusieurs dizaines par jour. De toutes les façons, le système sanitaire tchadien est loin d’être un bon élève.

Sacralité du cimetière 

Pour moi, un cimetière n’est pas seulement un lieu où reposent des ossements ou des corps sans vie. Il est un peu plus que cela. Au-delà du fait d’être un lieu de recueillement, c’est un lieu de spiritualité parce qu’on y garde les liens spirituels avec les morts.

Le cimetière de Ngonba
Crédit Photo : Abakar Brahim

C’est le dernier lieu sur terre qui vous rappelle que l’être qui vous est cher y est, le seul lieu où très souvent on prend conscience de combien cette vie est éphémère et que tout n’y est que vanité.

Notre rapport à la mort 

Face à la mort, nous avons des coutumes divergentes, des rites qui varient d’une région à une autre, le tout alimenter par notre rapport à la mort qui est très fort.

Aujourd’hui trois tendances d’enterrement sont représentatives :

1- Confessionnel 

Sobre et simpliste, selon le rituel musulman, l’enterrement doit se faire au plus tard 24h après le décès avant le coucher du soleil si le décès a eu lieu le matin et le lendemain matin si le décès a eu lieu la nuit.

Chez les chrétiens, la procédure funéraire se ressemble du fait qu’elle finit par la mise en tombeau du corps du défunt comme ce fut le cas du Christ après sa mort. Même si l’on peine à trouver de délai exact pour l’inhumation d’un corps, il est toujours conseillé que cela ait lieu le plus vite possible après avoir suivi les rites nécessaires. Ce délai qui va généralement de 24 à 48h permet de justifier le fait que la mort pour le religieux n’est qu’un passage.

Dans la pratique, les funérailles peuvent durer des semaines entières pour diverses raisons liées à l’organisation, au rapatriement du corps…

Ces rites existent également chez les juifs, les orthodoxes, les bouddhistes…

2- Traditionnel

Les cérémonies pour les enterrements varient selon les coutumes et us de chaque région dans le respect de la tradition. Il en est ainsi du temps de recueillement, des heures d’enterrement, de l’inhumation de l’homme, de la femme ou de l’enfant…

3- Communal

Il arrive que des corps sans vie soient retrouvés et dans ce cas, il revient à la mairie de s’occuper de l’inhumation dudit corps, si les proches du défunt ne sont pas retrouvés.

Repose en paix ou repose en cauchemar 

Depuis des années, les cimetières de N’Djaména sont les lieux de tous les cauchemars. Beaucoup de personnes l’ont compris et préfèrent inhumer leurs morts dans leurs villages, souvent à plusieurs centaines de kilomètres de la capitale. Ceci n’est pas à la bourse de tout le monde car le coup financier peut être particulièrement couteux. Choisir de mettre en terre le corps de son proche à N’Djaména c’est autrement lui garantir quelques nuits agitées !

Des cimetières vandalisés avec la bénédiction de l’État 

Il se raconte encore à ce jour, des réminiscences des tombes dans certains quartiers de N’Djaména qui ont fini par disparaître avec la bénédiction de l’État pour de juteux billets de banque ou pour tout autre raison farfelues !

Voici une liste de sites construits sur des cimetières :

1- L’hôtel Ledger Plaza 

L’ancien Kempinski hôtel qui est une chaîne d’hôtels de luxes Suisse d’origine allemande devenu Ledger Plaza est construit sur un ancien cimetière basé dans le quartier Diguel en plein centre de N’Djaména ;

L’hôtel Ledger Plaza se dresse fièrement sur un ancien cimetière
Crédit Photo : Say Baa

2- L’hôtel Hilton 

Le géant américain de l’hôtellerie Hilton, à trouver son bonheur au bord du fleuve Chari dans le quartier Sabangali au détriment des corps qui y reposaient paisiblement ;

L’hôtel Hilton à N’Djaména construit sur un ancien cimetière
Crédit Photo : Say Baa

3- Une partie de l’avenue Taïwan 

L’avenue Taiwan née des tréfonds de la terre a été un site des plus macabres. A coup de pelleteuse, des tombes entières ce sont vues rayées de la carte afin de pousser de l’asphalte à la place. 

4- Le marché de Habbena à Atrone 

A côté de l’avenue Taïwan, l’actuel marché est entièrement construit sur un cimetière. Des pierres tombales ont commencé par disparaître les unes après les autres laissant place aux étales de légumes, de boutiques, de routes…

Le petit marché d’Atrone entièrement installé sur un cimetière
Crédit Photo : Say Baa

5- Entre le palais du 15 janvier et le ministère de la femme

L’espace qui sépare ces deux grandes institutions étatiques était autrefois un cimetière pour enfant. Depuis, des villas y ont poussé, des routes aussi…

Les tombes du cimetière entre le palais du 15 janvier et le ministère de la femme ont été ratissés. Plusieurs routes en terre battues traversent cet espace et des gens y défèquent à longueur de journée
Crédit Photo : Say Baa

6- Le cimetière de Ngonba 

C’est l’un des plus grands cimetières du Tchad avec plusieurs hectares de tombes. Rempli depuis quelques années, cet espace est devenu le lieu des plus sordides envies. Les gens dans le voisinage grignotent de l’espace du cimetière pour en construire des habitations. Vu la cherté des terrains à N’Djaména, c’est une très bonne affaire de trouver une borne de terrain dans ces parages à 01 ou 02 millions de FCFA. 

La route et les maisons d’habitations qui débordent dans le cimetière
Crédit Photo : Abakar Brahim

A ce jour, des gens vivent littéralement dans le cimetière. Des débits de boissons y sont ouverts également de sorte à ce que dans certaines ventes à domicile, les tombes font office de tables.

Une entreprise chinoise de construction aurait lorgné sur ce même cimetière il y a quelques années afin d’y implanter son siège.

Ce sont des réalités qui pour ainsi dire contribuent à dévaloriser l’image des lieux de sépulture.

Les nouvelles dernières demeures 

A ce jour, il y a deux principaux cimetières à N’Djaména. Un cimetière musulman situé à Lamadji qui est sans doute le mieux protégé car il bénéficie d’une clôture partielle sur plusieurs hectares de superficie. 

Le second cimetière est situé à Toukra. Il accueille tous les corps de personnes non musulmanes. Il est déjà rattrapé par les habitations et vivra incontestablement la même situation que celui de Ngonba.

Il existe à Farcha, dans le premier arrondissement de N’Djamena un cimetière dédié exclusivement aux militaires tombés sur les champs des batailles. Les militaires décédés de toutes autre circonstance qu’à la guerre sont le plus souvent inhumés dans les autres cimetières de la ville.

Donner un pouvoir à la mairie dans la gestion des cimetières 

Juridiquement, le cimetière est considéré comme un lieu public faisant partie du domaine public communal ce qui implique que le cimetière

  • Est inaliénable, c’est-à-dire qu’il ne peut être transmis à titre onéreux ou gratuit ;
  • Est incessible ;
  • Est imprescriptible, c’est-à-dire qu’un concessionnaire ne peut jamais en devenir le véritable propriétaire nonobstant l’immobilité́ de la sépulture qui s’y trouve. 

Pour ma part, j’estime que la commune au travers de l’Etat Civil, devrait gérer au mieux les cimetières : la clôture, l’entretien, la surveillance, et pourquoi pas un plan de plantation… afin de veiller à leur aspect esthétique pour les intégrer à l’architecture de la ville.

Un cimetière rempli dans le quartier Ndjari et qui ne bénéficie d’aucun entretien.
Sous ces herbes, des tombes…
Crédit Photo : Say Baa

La commune devrait disposer d’une sorte de police de cimetière afin de réprimander les délits de violation de sépulture et d’atteinte à l’intégrité du cadavre.

Un système bien institutionnalisé permettrait de respecter la mémoire des morts et également d’imposer un peu de décence en ces lieux.

Je crois que l’on ne me traiterait pas de capricieux si j’exprimais mon envie de reposer un jour près de maman, pour que nous ayons la même terre en partage… Définitivement !

En attendant qu’ils trouvent paix où ils sont, nos chers morts !

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Auteur·e

lafenetreetoilee

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